Petit Théâtre, Besançon, 15 octobre 2003
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Patrice SALZENSTEIN |
Le Garde |
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Claire JUSSEAU |
La messagère |
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Anthony DUNCAN |
Le patron |
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Cécile LANGEOIS |
Un(e) fonctionnaire |
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Scène 1
Le Garde:
Qu'est-ce qu'on peut s'embêter ici. Ce qui est le plus pesant, c'est l'inaction. Non je ne déconne pas. Rien faire, c'est largement plus fatigant que d'être occuppé à quelque chose. Le temps parait vachement long. Pardonnez-moi pour ce que je vais dire: on s'emmerde. Non vraiment, on s'emmerde royalement. Le jour, ah oui, c'est sûr. Et la nuit aussi. C'est ça le pire. D'ailleurs on ne voit jamais ni le jour, ni la nuit, quand on ne sort pas. C'est vrai, il y en a qui ont un peu plus de chance. C'est ceux qui sortent. Là par exemple. J'attends quelqu'un. Une messagère qui revient je crois d'une petite opération commando.
Non, ici, c'est l'ennui, il faut être même drôlement motivé pour aller jusqu'à passer ses nuits ici. Heureusement que les programmes Télé sont nuls. En général, il faut reconnaitre que c'est pas terrible. Et puis, je dis ça. Mais de toute manière, je dois bien me trouver une justification pour rester ici la nuit. On ne dors pas bien ici. Tiens, la nuit dernière, j'ai fais un cauchemar. Toujours le même. C'est toujours pareil.
Je suis allongé sur le dos. Tous ces visages encagoulés penchés sur moi. Tant de paires d'yeux, une dizaine peut-être plus. Non. Une petite dizaine seulement. D'ailleurs il n'y a que leurs yeux. Le nez et le reste du visage sont protégés par un voile de tissu, comme ceux des chirurgiens. Ils sont debout et blanc. Ils ont des combinaisons blanches et des surchaussures blanches lorsque je tourne la tête. Il y en a un ou une qui s'est accroupi près de moi. Je suis étendu à terre sur le dos avec tous ces gens dans leur étrange accoutrement autour de moi. Ils sont vêtus avec des combinaisons de Salles blanches.
On appelle ça, le syndrôme de la salle blanche. C'est comme une sorte d'angoisse qui te prends. C'est vrai, ça peut arriver à n'importe qui, n'importe quand. Imagine, tu travailles, et puis paf! Tu as un malaise. Je sais pas moi... C'est peut-être une intoxication avec un gaz, je ne sais pas... Ensuite c'est le trou noir. Et quand tu te réveilles, tu emmerges lentement... Tu peux avoir des variantes! Je ne sais pas. Si, voilà, l'amnésie. L'amnésie totale. Avant ça n'existe pas, le néant. Alors tu vois tous ces gens autour. Tu comprends rien à ce qui se passe. Ouais, l'angoisse, l'enfer. C'est sûr, ça doit être ça l'enfer pour les mecs ou les nanas qui bossent en microélectronique.
Quand je bossais là-bas, ça allait. Mais ces cauchemars, c'est depuis qu'ils m'ont viré. C'est bizarre. Il ne faut pas chercher à comprendre. C'est comme ça. Bah! En général, ça va, le chômage, c'est comme des vacances. Enfin, si on veut. Il faut reconnaître que la journée, elle est vite gachée. Il y a toujours quelque chose à faire, puis des lettres à écrire. Tu as mauvaise conscience. C'est pas exactement des vacances parce que, comme dirait une copine, tu ne peux rien planifier. Ben oui. Tu ne sais pas quand ça va s'arrêter.
Oh oui. C'est sûr. Avec cette histoire, ça change tout. On s'occuppe. Ça prend du temps. C'est un boulot à part entière...
Mais c'est la messagère...
Scène 2
Le Garde:
Ah! te voilà, je commençais à m'inquiéter. Alors, ça y est. Tu es revenue, tu as réussie à leur échapper. Comment as-tu fais pour t'en sortir?
La messagère:
Ça, tu l'as dis bouffi. C'était vraiment pas évident de leur échapper. Je vais te raconter, laisse moi une seconde, pour souffler. Bon. Voilà. Au début, quand je suis partie d'ici, j'étais dans le tramway. Il y avait beaucoup de monde. Tous serrés les uns contre les autres. j'ai reconnu Gilles dans l'autre wagon. Il est descendu. Il a couru après l'avocate, une jeune fille assez grande (teinte en blonde). Je les ai suivi. Elle a traversé les avenues et les grandes places manquant plusieurs fois de se faire écraser par des voitures. J'ai pensé plus d'une fois: "elle court trop vite, je n'y arriverais pas". Et je courais derrière Gilles qui courait après elle. Tu vois le tableau. Elle est partie dans cette cour pourtant close. Gilles l'a suivie. Et puis moi. Je me suis retrouvée dans la cour. Il n'y avait personne. Je me disais que nous étions deux à la chercher. Gilles n'est plus réapparu. Pas de trace de la jeune fille non plus. Là, je ne te dis pas. Tu imagines aisément la suite. Un C.R.S. ou un Gendarme est entré à son tour dans la cour. J'ai pensé tout de suite: "quelqu'un de dangereux arrive". Malaise, cache-cache, peur. Et j'ai vu sur le coté. Gilles essayait de prendre les feuilles à la fille. Bagarre. La fille s'est enfuie vers le fond de la courrée. J'ai eu le temps d'ouvrir ce maudit portail de bois au fond... et de le refermer. Elle était là. Elle levait les bras en disant: "Je n'ai plus rien sur moi, allez-vous en vous aussi, d'autres vont rappliquer!". Elle est partie en courant. Déjà j'entendais les coups répetés sur la porte. Il fallait fuir. En passant au dehors, derrière le fond de ce passage, à gauche, j'ai marqué fort heureusement un temps d'arrêt. Et j'ai vu, cachés sous des gravas, des feuilles manuscrites. Avant de connaître l'issue du combat perdu d'avance pour Gilles derrière la porte, vu comment il est galbé, je me vois encore courir sur le chemin. Au loin sur la colline, les remparts de citadelle-usine. J'ai traversé rapidement les faubourgs sur le chemin de terre. Je pensais toujours "il vaut mieux que je remette ces documents en mains propres". Je me suis lavée les mains. Ensuite, je me suis vite retrouvé dans la salle du conseil du syndicat. J'étais fière lorsque j'ai posé le texte sur la grande table du conseil. Il a tout lu d'une traite sans relever une seule fois les yeux dans le brouhaha qu'à provoqué cet événement. "Ça y est, c'est le texte officiel! Nous les tenons!" a-t-il crié!
Le Garde:
Le texte officiel! Je suppose que les permanents n'en revenaient pas.
La messagère:
Alors. Tu aurais vu leur tête, ils jubilaient.
Le Garde:
C'était pas évident. Tu t'en es plus que bien sortie de ta course poursuite.
La messagère:
Mieux que Gilles. A mon avis le C.R.S. qui l'a attrapé, il n'a pas pu se douter exactement de ce qui lui avait échappé. Ces gens là, ça ne raisonne pas beaucoup. Ça tape d'abord, ça réfléchi après.
Le Garde:
Et l'avocate?
La messagère:
Pas de nouvelles. J'imagine sa tête quand elle a du retourner chercher les feuilles. Il y aura enquête dés qu'ils sauront que c'est nous qui les avons récupéré. Et ils le sauront!!
Scène 3
S'adressant tout d'abord à une porte sur le bord de la scène, puis au public...
Le patron:
Non! Non! Et non! Je ne suis pas là pour faire du social. Il n'y a pas écrit "Robin des Bois" ou "Frère Turc" sur mon front. Ce n'est pas mon rôle de vous aider. Moi, quand je paye quelqu'un, c'est parce qu'il me permet de gagner bien plus d'argent encore! La seule chose qui m'interesse, c'est que l'argent investi dans la boite par les actionnaires soit rentable. La productivité doit être maximale pour assurer une plus-value importante! Alors quand j'entends parler des 35 heures par semaine, oui, c'est vrai, je sors mon révolver, comme dirait l'autre. Et puis quoi encore. Notre rôle à nous, les gourous-entrepreneurs, c'est de faire du fric sur votre dos à vous les travailleurs, pour le plus grand bien de nos dieux, les actionnaires.
D'ailleurs, tout les matin, au jeté du lit, je prie. J'invoque les esprits saints. J'implore la grâce de Messieurs les membres du conseil d'administration, pour que je puisse continuer à exercer ce doux métier de haut technocrate au long court... de tennis. Et oui, je fais du tennis à mes heures avec Monsieur le grand chambelland du ministère de l'Economie et de Finances Publiques. C'est qu'il faut de temps en temps passer à la caisse pour détourner un peu d'argent public. Car, aux grand dieux, nos actionnaires sont voraces.
Le garde:
Bon c'est pas un peu fini ce vacarme. Non mais vous vous croyez où? On n'est pas des zoulous! Vous vous croyez à la foire du trône ou quoi? On ne va pas vous manger tout cru. De toute façon, vous me coupez l'appetit avec vos discours à la con, pardonnez-moi du peu! On en a marre de vous entendre! On n'entend que vous ici. C'est pas croyable. Vous n'êtes vraiment pas sortable... Enfin, vous me comprenez, on se comprend. Vous n'êtes pas... Vous n'êtes pas... rentrables! On se comprend. Je veux dire, j'espère qu'on se comprends. Vous, vous comprenez peut-être "rentable". Mais il y a un R en plus.
(Cet air, c'est un air de Rêve, de Révolte ou de Révolution, au choix.)
Le patron:
RRRRR....
Il sort
Le patron:
Que c'est laid.
Signe de croix.
Scène 4
La messagère:
Alors, il a craché le morceau?
Le garde:
Ben non. Malheureusement, il est toujours entêté comme un bourricot.
La messagère:
C'est un âne.
Le garde:
C'est bien la peine de séquestrer un âne. C'est têtu, c'est bête.
La messagère:
On ne lui demande pourtant pas grand chose...
Le garde:
De tout façon, grâce aux feuilles que tu as réussie à rapporter, les gars comme lui, ils sont faits.
La messagère:
C'est pas encore gagné. Mais c'est certain qu'avec le texte officiel de nos droits entre nos mains, les choses vont être plus faciles.
Le garde:
Ouais, puis l'autre, il n'a pas encore signé l'accord.
La messagère:
On finira bien par l'avoir.
Le garde:
Cest pas quelquun de commode ce type. Je tai dis comment ça sest passé quand ils mont virés?
La messagère:
Eh bien... En fait, non. Enfin pas dans le détail.
Le garde:
Je suis arrivé au bureau un mercredi matin. Il y avait un petit Post it sur mon bureau. Il était juste écrit:
«R.D.V. à 9 h 00 chez D.B.G.» et cétait signé «F.B.». D.B.G. cétait mon n+2 et F.B. mon n+1. Peu après jétais en face de ces deux lascarts. Tu imagines lambience. La sainte inquisition. Ils avaient des cagoules allongées au dessus de leur tête par une pointe. Je ne voyais pas leur visage, mais je reconnaissais leur voix, puisque je les voyais tous les jours. Mais dhabitude, ils avaient plutôt le costume cravate et la casquette Nike le vendredi pour faire plus cool. Là, ils étaient vêtu, en plus de leur étrange chapeau modèle Ku Kkux Klan, dune sorte de cape noire qui les recouvraient entièrement. Ils chaussaient des baskets ADIDAS. Ils avaient des gants noirs avec chacun deux bagues au dessus du tissu, lune en forme de monstre, lautre à leffigie de Picsou. Sur leur poitrine il y avait un S comme Superman, et dans le dos je lai vu en me penchant discrètement, il était écrit: «Gagnez les champions, La redoute, Vive le P.S.G., Votez Sarkozy, A bas Fantomas». Et oui, tu te demandes sûrement pourquoi je me souviens aussi bien de ces détails? Lexplication est simple: ce nétait pas commun comme slogans publicitaires.
La messagère:
Cest vrai.
Le garde:
Ils mont annoncé la nouvelle de manière embarrassée et laconique. Jétais viré. Ils navaient pas de raison à donner. Cétait légal. Légout. Ma seconde période dessai de six ans allait juste se terminer. Pour tout dire javais eu des doutes lorsquils avaient prolongé ma première période dessai. Ça allait me faire douze ans dancienneté. Ils ont tiré sur une corde cachée derrière la teinture en me disant quils avaient déjà organisé un rendez-vous avec la Dirigeuse Radicale des Humanoïdes, la D.R.H. en dautres termes. En tirant sur la corde, le plancher sest dérobé sous mes pieds, et jai fais une chute chez la D.R.H. Cette charmante dame ma dit «mes droits» en seulement deux mots. Elle a ajouté que je devais quitter lentreprise sur le champ dà côté sans même repasser par mon bureau pour prendre mes effets personnels, et bien-sûr, sans toucher mes vingt mille francs. Il fallait que je signe un reçu.
La messagère:
Et tu as signé?
Le garde:
Eh bien non. Je nai pas signé. Je suis resté de marbre.
La messagère:
Tu es resté quoi?
Le garde:
Non, je ne suis pas resté coi mais de marbre. Elle a insisté pour que je signe. Visiblement cétait important pour elle. Elle ne cessait de repeter quil fallait que je signe. Que cela ne mengageait à pas grand chose. Que personnellement, ma signature ne lempêcherait pas de dormir. Elle a fait tout son possible pour me faire signer. Heureusement, je me tenais à distance respectable de ses mains. Javais remarqué quelle était solidaire de son siège. La disposition de son bureau était telle, quelle pouvait avoir accès à tous les dossiers quelle voulait, de sa chaise, sans avoir à se lever. Elle avait un ordinateur à ses côté qui, je limagine lui permettait de joindre nimporte qui dans le monde entier. Tout était si pratique, que les plombiers et les électriciens qui étaient passé faire les poussières avaient décidé de la visser et de la clouer à son siège. Ils avaient dû penser que cétait plus pratique. Ma stratégie était simple: je restais à distance raisonnable pour pouvoir lentendre, tout en me tenant éloigné pour ne pas quelle me force à signer. Je répondais à ses questions mais elle nen posait pas. Elle disait que je devais signer. Que cela ne sétait jamais produit avant. Que je me comportais comme un rebelle Alors jai compris. Cest ce jour-là que je suis devenu un rebelle. Elle sobstinait et devenait toute bleue. Puis elle sest calmée et elle ma dit quelle allait appeler la police. Je lui ai dis: «ah bon!». Elle a pianoté sur son clavier électromagnétique et, quelques instants après, un C.R.S. est apparu. Elle lui a demandé du feu et de me faire sortir discrètement après mavoir fait signer. Il a répondu quil ne fumait pas, et quen tout cas, il navait pas son briquet habituel sur lui, alors, il ne pouvait rien faire pour elle, et il est sorti. Il faut dire quil était rare que ce genre de personnage comprenne deux ordres à la suite, car il navait pas été programmé pour une liste dattente des actions en cours et à faire. «Eh cest pas marqué imprimante sur mon front les gars!». Alors il est sorti sans demander son reste. La D.R.H. sest mise à pleurer. Je lui est conseillé dappeler un psychologue et je suis sorti par la porte ouverte.
La messagère:
Pourquoi faire?
Le garde:
Parce quune porte, quand cest ouvert, ça fait penser à la nature, à la forêt quoi! Mais ne crois pas que je suis sorti comme ça, sans demander mon reste.
La messagère:
Il te restait combien?
Le garde:
Elle me devait mon préavis.
La messagère:
Et comment as-tu fait pour le récupérer?
Le garde:
Cest bien simple, je nai eu quà attendre pas bien longtemps, car déjà elle a bougé son coude et la mis ostensiblement
La messagère:
Au quoi?
Le garde:
Elle la mis devant ses yeux, et pas discrètement du tout, mais alors, pas du tout, je te le donne en mille, Elle a regardé lheure, oui, tu as bien entendu Elle a regardé lheure. Non bien sûr, en vérité je te le dis, elle na pas regardé véritablement lheure, mais autre chose. Attends, évidemment, elle na fait que regarder, sa montre! Et oui, elle a regardé sa montre. Bien sûr tu trouve ça ordinaire, sans importance. Tout le monde, un jour ou lautre, regarde sa montre. Tiens par exemple, lautre jour, je me promenais à Besançon. Et jai vu un type, devant moi. Oh oui, je sais ça a lair comme ça de navoir rien à voir avec rien. Mais détrompe-toi, oui, détrompe toi Tout à son importance, même si somme-toute, elle est relativement relative. Alors, je disais, oui, ce type, il était là. A ma place, et cest ce que jaurais dû faire, tout autre que moi aurait continué sa route, son chemin, mais tu vois, je ne sais pas exactement ce qui ma traversé lesprit, ou plutôt, je sais. Oui je sais. Peut-être, il faut dire pour ma défense, que je nen avais pas, moi, de montre. Alors, tu ne vas pas me croire, attends! Devine! Je lui ai demandé lheure quil est!! Le mec en face, tu imagines pas, il sest arrêté net. Et oui, il marchait à vitesse constante. Il a subi une décélération infinie, et paf! Là, devant moi, il sest arrêté net. A mon avis, ça na pas duré plus dune fraction de seconde. Mais ça ma paru infini. Tout est relatif, linfini, en cherchant bien, on le trouve à sa porte, bon, je ne vais pas métendre là-dessus, cest pas le sujet, tu comprends. Non en fait ça ma réellement paru infini, parce que le type, il vascillait litéralement. Oui, je sais, peut-être quun type qui vient de subir une décélération infinie, il ne se sent pas très bien. Et je veux bien le croire, mais là, non seulement le type il vascillait, mais en plus il était devenu tout vert. Mais vert. Ou bleu. Enfin je ne sais pas. Cest pas ça qui importe. La couleur, cest un détail. Dailleurs tu conviendras que lon se souviens bien de si quelquun porte une chemise, un robe ou un sweet-shirt, mais que bien souvent, on est incapable de se souvenir précisément de la couleur. Enfin, le problème, cest que le type, il avait changé de couleur. Oui, cest bien ça le problème, tu demande lheure à quelquun comme ça. Tu tattends sans doute à pleins de choses, mais pas à ça. Dhabitude, quand tu croise un type et que tu lui demande lheure quil est, le type, il peut bien te répondre ce que tu veux. Au pire même, il te dis daller te faire foutre. Mais il ne change pas de couleur. Oui cest ça qui ma mis la puce à loreille. Je me suis dis, là, cest bizarre. Cest pas normal du tout. Il y a quelque chose qui cloche. Je ne sais pas si tu te rends compte, mais tu ne peux pas te rendre compte. Tu vois. Attends. Tu te ballade dans la rue. Oui, cest banal. Mais non. Tu es à Besançon. A Besançon. Encore, tu serais à Saint-claude ça ne serait peut-être pas tout-à-fait pareil. Ou plutôt ça serait pareil, si tu demandais une pipe. Ben oui. Les pipes de Saint-Claude. Mais là, jétais à Besançon, et je demandais lheure quil étais. Attends, ne pars pas. Le type. Il a changé de couleur. Et ça nest pas tout. Alors là tu ne vas pas me croire Il sest mis à pleurer. A pleurer, comme un gamin. Non, comme un adulte. Il a littéralement fondu en larmes. Il sest écrié dans un sanglot: «Mais pourquoi moi?». Moi je lui ai dis que ce nétais pas grave. Tiens la preuve, moi, je nen avais pas de montre. Bon en fait, jen ai souvent une, mais dans la poche. Je naime pas trop la porter au poignet. ça gratte. Et puis comme ça au moins, je nuse pas les bracelets de mes montres. Mais ça je ne lui ai pas dis. Je lui ai juste dis que si ça tombait sur lui, cétait le hasard, ça on ny peut rien. Et puis, je lui ai rappelé que je ne voulais pas le dépouiller, je lui demandais lheure, pas sa montre. Alors aussitôt jai dis ça, il a eu une réaction qui ma carrément surpris.Mais alors je ne my attendais pas, mais alors, pas du tout. Il sest arrêté de pleurer, et il m demandé très vite: «mais pourquoi vous me dites ça?». Moi je lui ai répondu: «que jvous dis quoi». Il ma répété : «mais pourquoi vous me dites ça?». Et il a précisé «pourquoi vous me dites que vous navez pas lintention de me dépouiller de ma montre». Il y a eu un silence. Et il a crié, il est tombé à genoux, comme ça, au milieu de la rue. Les passants passaient. Et lui il étais à genoux devant moi. Il délirait visiblement: il parlait tout seul. «Mais quest-ce quil me veulent tous. Quest-ce que jai fais au bon dieu pour que ça tombe sur moi!». Jai essayé de le raisonner, de lui demander quest-ce qui nallait pas. Alors il ma dis limpensable. Il a prononcé ces mots: «On ma volé ma montre». Cétait un homme au bout du rouleau, à genoux au milieu dune rue de Besançon Alors cest pour ça. Oui, cest pour ça que quand la D.R.H. elle a regardé sa montre, Mais si, tu te souviens de quoi je parlais.
La messagère:
Je dois avouer que tu mas un peu embrouillée avec ta digression
Le garde:
Elle me devait mon préavis.
La messagère:
Je ne vois plus très bien le rapport avec la choucroute
Le garde:
Elle me devait mon préavis. Et elle regardait sa montre Alors, tu ne sais pas ce que jai fais Jai raflé tout largent qui trainait devant elle pendant quelle avait le dos tourné.
La messagère:
Je ne comprens plus
Le garde:
Elle était solidement vissée au sol, à cause des plombiers et des électriciens, tu sais bien, je te lai dis, cétait plus commode pour eux. Alors je ne voulais pas tomber à portée de ses mains au cas où elle maurait obligée à signer, alors dès quelle a été occupée à regarder sa montre. Jai sauté sur loccasion et jai tout raflé tout largent quil y avait devant elle et je suis parti en courant comme un voleur.
La messagère:
Dailleurs, cest du vol
Le garde:
Noublie pas. Elle me devait mon préavis. Alors je suis parti sans demander mon reste. Je suis entré dans un bar au hasard. Jai commandé une bière. Je lai bue. Jai payé. Et je suis parti.
La messagère:
Et tu nes jamais retourné là-bas?
Le garde:
En fait non. Ou plutôt si. Mais ceci est une autre histoire.
La messagère:
Tu me racontera un jour?
Le garde:
Oui. Oui, si jai le temps.
ACTE II
Scène 1
Un(e) fonctionnaire:
Dur dur, dêtre fonctionnaire au ministère de l'Economie et de Finances Publiques! Au début je pensais que cétait la planque. Mais jai vite déchanté. Cest quon nous met la pression. Et cest pas quune impression!
Ici, il faut se méfier de tout le monde. Pas plus tard quhier, jai été dénoncé par un collègue. Le genre à rendre service, vous voyez. Cest le mec qui va chercher du sucre à létage du dessous quand il ny en a plus à la machine à café, mais quand on a vraiment besoin de lui, Il ny a plus personne. Cest un ami qui vous veut du bien.
Cest vrai. Hier, jai fais une bêtise. Cétait une grande fille blonde ou teinte en blonde, je ne sais plus. Elle est avocate vous comprenez. Cela faisait quelques jours quelle me disais bonjour. Elle me faisait la bise. On prenait le café ensemble. Avec lami qui vous veut du bien, vous savez bien! Celui dont je viens de parler. Elle est plutôt jolie et plutôt sympa, vous voyez! Moi, je ne me suis pas méfié. Et puis, elle avait ses entrées dans le ministère puisquelle était là, avec moi, à prendre du café. Il faut que je vous dise. Ces derniers jours on ma confié un boulot important. Si javais été assez vite, jaurais même sans doute eu droit à une prime. Pensez donc! Je corrigeais les fautes dorthographe sur le texte officiel. Vous savez, celui dont on parle ces jours-ci. Javais fais mon travail. Je me souviens, je le lui avais même dis au café. Le texte était parti à la signature. Hier, le texte est revenu par le courrier interne. Il était soigneusement signé comme il se doit, avec les tampons et tout et tout!
Vous comprenez, je ne me suis pas méfié.
Elle est avocate vous comprenez. Cela faisait quelques jours quelle me disais bonjour. Elle me faisait la bise. On prenait le café ensemble.
Elle ma dis: «au fait, tu me montrerais ce fameux texte sur lequel tu travailles ces jours-ci?». Javais confiance. Jai été le chercher immédiatement.
La suite, vous imaginez bien. Elle a jeté un il dessus, en le feuilletant, et puis elle ma dis quelle allait le lire dans son bureau. Je ny voyais pas dinconvénient. Je ne métais pas douté quelle navait pas de bureau à elle au ministère. Je ne lai pas revu depuis. Jai su quelle était parti avec le texte officiel. Et quelle se létait fais voler par une messagère des rebelles.
ACTE III
Scène 1
Le patron:
Toute sa vie. Oui. Toute sa vie. Mon paternel sest battu toute sa vie. Cétait un battant mon père. Il en avait, là. Et il sen est construites. En or. Oui. On ne peut pas dire quil nen avait pas! Il en fait bosser des gens, pour ça. Il en a fallu de la sueur. De la sueur douvrier. Quand ils bossaient. Oui, quand ils bossaient les ouvriers. Parce que quand ils ne bossaient pas Il en faisait couler. Oui. Il en faisait couler, du sang. Du sang douvrier. Du rouge. Comme leur drapeau. Il savait les mater, mon père. Et puis il avait la classe avec ça. Il était baron. Oui, baron. Il était baron dans sa baronie. Et ça vous fait rire? Il ny a pas de quoi! Il en a eu, mon père, en or. Et il se battait, mon père. Il ne sest pas laissé faire. Il y en a quont bien essayé. Ils ne voulaient pas travailler. Cétaient des fainéants. Cétaient des ouvriers qui rêvaient de loisirs, de temps libre, pis, de réduction du temps de travail. Et puis quoi encore. Et puis dabord, avec quoi ils se les auraient payé leur loisirs. Mon père, lui, il en avait la-dedans. Il avait la classe. il était royal. Cétait un baron. Alors vous pensez! Il nétait pas con. Il ne les payait pas bien. Bon, il était bien obligé de les payer un petit peu. Parce que sinon, un ouvrier ça bosse pas. Mais il leur donnaient si peu, que leur temps libre, ils nauraient pas su quoi en faire, tellement ils navaient pas dargent. Ben oui, quoi! Il en faut de largent, pour sortir, pour aller au cinéma, pour vivre quoi. Lui, mon père, ils leur en donnaient pour survivre. Comme ça les ouvriers, ben, leur réduction du temps de travail, ils nen auraient rien fait. Et puis dailleurs, ça a bien fini par capoter.
Mais putain de merde. Jamais. Jamais jaurais imaginé que le cauchemard devienne réalité. Vous avez vu de quoi ils sont capables! Vous avez vu ce quils mont fait! Non, mais vous avez vu? Ils mont enfermé. Moi. Le propre fils de mon père. Moi, le fils du baron. Et quest-ce quils veulent? Oui. Je vous pose la question. Quest-ce quils veulent? Ben jvous le donne en mille. Vous ne pouvez pas deviner. Cherchez, cherchez. Ils veulent que je signe. Ils veulent que je signe leur putain de texte. Ou plutôt que je le contresigne. Mais moi je ne pourrai jamais. Cest pas possible. Vous nimaginez pas. Je peux pas signer ce texte. Non, là, on peut pas déconner avec ça. Mais si je signe quest-ce qui va se passer? Pas possible. Je ne vous dit pas les conséquences cest la fin. Cest la mort. Mais ils veulent ma mort ou quoi! La vie de mon père. Ben ils peuvent la prendre, de toute façon, il nest plus là. Mais moi. Il ne peuvent pas me faire ça. A moi. Le fils du baron.
Scène 2
Le garde:
Il ne veut toujours pas signer.
La messagère:
On va devoir employer une méthode radicale.
Le garde:
Et si ça ne marche, et sil ne survivait pas. Cest horrible, quand même.
La messagère:
Tu as des états dâme? Et ben il ne faut pas. Et moi je vais te dire. Je nen ai pas. Et pourquoi ça? Et ben cest simple. Très simple. Moi aussi jaime bien le chocolat. Et je ne men prive pas. Lui cest un drogué, il est accro. tas vu le nombre de tablettes quil faut pour le nourrir? Et ben cest avec ça quon laura. On va lui supprimer le chocolat.
Le garde:
Et sil ne survit pas?
La messagère:
On aura plus de chocolat. On prendra sa part. On aura une ration en plus pour nous deux. Jai toujours rêvé de ça. Oui, de ça, du chocolat, quoi!
Le garde:
Et si ça marche, sil signe? Quest-ce que tu vas faire?
La messagère:
Pour le chocolat. Jen ferai mon deuil. Ben oui, jaurais quand même ma ration. Et puis je partirais.
Le garde:
Sil signe, quest-ce quon va devenir?
La messagère:
Ce sera mieux pour notre foi. On mangera moins de chocolat. Mais, bon dieu! réfléchis! Sil signe, sil signe le texte! Et ben ça y est. On laura notre loi. On laura pour nous. On les aura nos droits. On travaillera moins, on gagnera plus. Parce quen plus, ceux sont eux qui financeront tout ça! Et puis, on aura plein de temps libre. On ira ou on veut
Le garde:
Où ça?
La messagère:
Je ne sais pas, Au théâtre
Le garde:
pour quoi faire?
La messagère:
Je ne sais pas, pour grignoter du chocolat en regardant les acteurs affamés sur la scène