ANTIGONE II, le retour

une pièce écrite et crée par Patrice Salzenstein

avec, en octobre 2003:

Patrice Salzenstein                                            Le narrateur

Aurélien Gras                                                          Hémon

Claire Jusseau                                                Antigone

Isabelle Cauwet                                                   L'indienne

Mise en scène en 2003 par Claire Jusseau. Sons et lumière 2003 par Nicolas Bazin

Piècette jouée la première fois sous le titre 'Antigone II, la suite' au Café-Théâtre "Les Visiteurs du Soir" rue Jean-Jacques Rousseau, à Lille le 13 février 1993

par:

Patrice Salzenstein                                            Le narrateur

Ayrton Bénard                                                          Hémon

Jean-Cécile Headley                                               Antigone

Isabelle Cauwet                                                   L'indienne

Mise en scène en 1993 par Patrice Salzenstein



Le narrateur:

            C'est quoi c'bordel? La scène n'est pas éclairée. Tout est sombre, mais on peut distinguer ça et là des silhouettes et des chuchotements que couvrent le bavardage du public.

            Ce sont les acteurs qui achèvent à la hâte de se mouler dans la peau de leur personnage.

            Peu à peu, le silence se fait. Un disque de lumière éclaire un morceau de rideau sur le coin de la scène. Un personnage apparaît alors avec un verre à la main. Le disque de lumière le suit jusqu'au milieu de la scène.

            L'éclairage se fait. C'est l'aube.

            Le personnage sur la scène, c'est Hémon.

            Autrefois, lui et Antigone, ils s'aimaient. Mais, il leur est arrivé une vraie histoire: Antigone avait deux frères. L'un était un flic, l'autre un bon-à-rien, un voyou, dont on ne savait que faire.

            Un jour, ce dernier a voulu cambrioler une boucherie, pour y voler un... poulet rôti. Bah! Il avait faim. Hélas, les poulets étaient planqués là. Son frère aussi. Il y a eu, je crois, des coups de feu d'échangés. Les deux frères sont morts. C'est con pour eux.

            L'un était un bon flic, l'autre un bon-à-rien, un voyou, dont on ne savait que faire.

            Le roi, Créon, qui est aussi le chef de la police, a offert au bon flic des funérailles nationales. A l'autre, il a formellement défendu à quiconque de l'enterrer, préférant laisser sa dépouille mortelle aux vautours et aux oiseaux de proie.

            Antigone, cette conne!, elle s'est crue obligée. Elle a tenté de recouvrir son frère avec de la terre pour lui offrir une sépulture décente.

            Aussitôt, évidemment, elle a été arrêtée et condamnée à la prison.

            Autrefois, Hémon et Antigone, ils s'aimaient. Pourtant, aujourd'hui, cinq ans ont passé.

            Ils ne se voyaient plus trop souvent. Lui, a bien eu quelques aventures entre temps. Elle aussi, mais elle est restée captive.           

            Aujourd'hui, Antigone va être libérée pour bonne conduite.

Hémon:

            Tout à l'heure, Antigone va être libérée.  Aujourd'hui j'ai le blues. Elle va peut-être arriver d'une  minute à l'autre. Et moi, je ne saurai pas quoi lui dire. Toutes ces années...

            Le jour où elle a été arrêtée, je me souviens, j'aurais volontiers voté la mort du roi; ce roi stupide, qui a décidé de la mettre en prison.         

            Heureusement, la peine de mort avait été abolie en 81. Le roi ne risquait plus rien.

            Mais Antigone, elle, elle en a pris pour cinq ans !

            Au début, j'avais la haine.

            Puis, je m'y suis habitué. Tu comprends, que pouvais-je bien y faire?

Le narrateur:

            Eh attention, je crois qu'elle arrive...

Antigone:

            Ouh ouh ! Y'a quelqu'un? C'est moi, Antigone !!

Hémon:

            Antigone?!

Antigone:

            Eh oui! Ça t'en bouche un coin!

Hémon:

            Tiens, j'ai une orange pour toi.

Antigone:

            Merci banane! ( et elle la jette dans le public )

Le narrateur:

            Ils se sont approchés l'un de l'autre, l'un de l'autre, et timidement ils se sont dit bonjour.

            Ce moment là, il est difficile. Hémon n'ose rien dire. Alors, Antigone, elle, décide de parler la première.

 

Antigone:

            La prison, au début c'est l'enfer, l'angoisse. Tu crois que tu as sombré dans un gouffre sans fin. Tu as besoin qu'on t'écrive. Mais les amis ont tendance à t'oublier. Peu à peu, ils écrivent de moins en moins. J'ai eu l'impression de tomber dans l'oubli.

Hémon:

            Eh! Je t'écrivais.

Antigone:

            Oui mais j'avais l'impression qu'il n'y avait plus de passion. Tu ne savais plus quoi m'écrire.

Hémon:

            C'est vrai...

Le narrateur:

            Maintenant, Antigone s'est arrêtée de parler. Elle pense.

            Il lui semble qu'ils sont si loin l'un de l'autre.

            Alors elle lui demande:

Antigone:

            Au fait Qu'est-ce que tu as fait pendant tout ce temps?

Le narrateur:

            Hémon marque un temps d'hésitation. Comme s'il allait parler. D'ailleurs il va répondre...

Hémon:

            Il était une fois quelqu'un. Cétait moi. J'étais assis là-bas. A l'angle de la table. Seul.

            Devant moi: un paquet de cigarettes et un briquet encore en état de fonctionnement. Une bière à moitié bue.

            Un néon, ou plus exactement une ampoule de quarante Watts.

            J'étais vêtu -Ben oui!- d'un blouson de cuir sombre. Je chaussais alors ( Il regarde ses pieds ) des binocles rondes.

            Je ne sais plus comment je m'appelais. Ben en fait, je n'avais pas besoin de m'appeler, puisque je me voyais tous les jours.

            Bon, enfin bref, je fumais et je parlais en même temps. Je parlais tout seul.

Antigone:

            I l y avait des gens pour t'écouter...

Hémon:

            Non! Personne ne m'écoutait. J'étais seul à ma table. Il m'est difficile de retranscrire mon monologue, puisque personne ne m'entendait.

            Mais je vais tâcher de le faire. J'en prends la responsabilité. Cela ne m'engage pas à grand chose, d'ailleurs.

            Je me souviens d'un personnage ivre, avec un bonnet sur la tête. Il a tourné ses yeux dans ma direction. Ou plutôt vers moi, plus exactement. Lui aussi, assis à sa table de bois, il boit. IL vide son verre -à prononcer berre en espagnol-

            Il a dit "J'en veux au monde entier! J'en veux! " C'est ce qu'il a dit. Il en voulait à son créateur. S'il croyait en Dieu, c'était Dieu.  Sinon, c'était son père. Sympa pur lui. Moi, mon père est mort. Ce personnage, avec son bonnet, c'était un esprit perdu; et retrouvé ici, dans cet angle de bar. Seul lui aussi, il méritait pourtant que je conte son histoire. Voilà qui est presque fait. C'était un jeune homme seul, comme moi. Une nuit dans un troquet de Lille. Il buvait lui aussi. Non pas pour oublier qu'il buvait, comme dans la song; mais parce qu'il en voulait au monde entier.

            D'ailleurs, il me semblait qu'il avait honte de boire...Pourtant, il buvait pour lui, pas pour les autres.

Antigone:

            Et alors, qu'est-ce qu'il est arrivé?

Hémon:

            Qu'est-ce qu'il lui est arrivé??...

            Je ne sais pas. J'ai fini ma bière; je suis sorti.

Le narrateur:

            Voilà. Hémon a dit ce qu'il avait à dire. Dans quelques minutes il quittera la peau de son personnage, et il retournera vaquer à ses occupations.

            Mais pour l'instant, c'est à Antigone de parler.

            Elle observe attentivement Hémon. Il lui semble qu'il a changé.

Antigone:

            C'est vrai. Tu as changé, Hémon. Autrefois j'avais tendance à t'idéaliser. Quand je t'ai revu tout à l'heure, j'ai été déçue par la banalité de la situation. 

            Je t'ai écouté; j'ai envie de dire:...

Le narrateur:

            La vie est belle...

            Les femmes sont chères...

            Les enfants sont faciles à faire...

Antigone:

            J'ai envie de le dire; mais, je ne le dis pas.

            Bon, j'me lance. Oh,putain. Faut qu'je rattrape le temps perdu.

Le narrateur:

            Attention il y a une scène hard maintenant.

            Elle le prend par le revers du blouson, l'attire à elle, et l'embrasse... 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9.

            Mais non ça va pas! Coupez! Arrêtez tout!

Hémon:

            Au viol!

Le narrateur:

            Il s'enfuit comme un voleur.

Antigone:

            Quel branleur ce type.

( Le narrateur fait mine de reculer )

Antigone:

            Eh, toi là, le narrateur avec ses lunettes! Viens par là! L'amour, c'est plus intime dans les coulisses ...

( A cet instant, un(e) indien(ne) fait son entrée sur la scène, pendant qu'Antigone et le narrateur font l'amour dans un coin de la scène )

L'indien(ne):

            Ça y est. Ils ont partis; il était temps.

            Regardez-les!

            Il y a cinq cents ans, ils débarquent chez moi. Au début, ils tuent, ils violent, ils pillent. Ensuite, ils installent des autoroutes, des bars, des prisons.

            Puis ils partent conquérir le reste du monde...

            Et c'est ce spectacle désolant de fin de siècle! Le résultat, il est là! De vrais personnages, comme Hémon, ou Antigone... Leur mentalité n'a pas beaucoup évolué depuis Sophocle.

            Oh, bien sûr, vous allez dire:

            "L'indien(ne), c'est un(e) sage, un(e) philosophe."

            Vous vous trompez un peu. Je vois ça avec le recul. Pensez donc!... Cinq siècles de destruction!...

            Je ne suis pas une pas un(e) philosophe. Les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde, de différentes façons. Ce qui importe, c'est de le transformer! Il y a des tas de choses à construire. Par exemple, je ne sais pas moi, des autoroutes, des bars, des prisons...

            Non, ce que je veux dire, c'est que je crois surtout qu'il faut lutter contre la fatalité, et rendre l'espoir à la race humaine. Il faut donner un sens à sa vie.

Le narrateur:

            La loterie de l'existence, c'est l'abominable destin qui nous guette, et qui va vous jouer des tours.

L'indien(ne):

            Ce qu'il dit n'a pratiquement aucun sens.

( Hémon repasse lentement sur la scène pendant qu'il(elle) parle )

            Une rumeur court...

( Il(elle) écoute au sol )

            Elle se rapproche...

Hémon:

            Eh, c'est la fin?

L'indien(ne):

            Bientôt. Attends, homme blanc!

            Tous ceux qui devaient faire quelque-chose l'ont fait. Ceux qui vivent, les acteurs, et vous, le public, vous allez recommencer doucement à vivre et oublier nos prénoms.

            Pour Antigone aussi, c'est fini. Bien avant le début de la pièce, elle avait accompli son devoir. Recouvrir son frère mort, c'était respecter ce qu'il y a d'humain en nous.

            Maintenant, elle est libre, elle sourit; comme nous tous, elle a la vie devant elle.

Tous droits réservés, Patrice Salzenstein, 1993®, 2003®